Wednesday, October 19, 2005

Du Vent dans la Bouche - Wind Blowing in the Mouth

Du Vent Dans la Bouche - Volet prémices.
Axe-Néo 7 - Centre d'Artistes en Art Contemporain. Gatineau, Québec - Canada.
Pigment, acrylique et charbon sur toile.

Coordonnatrice: Annie Thibault
Texte: Richard Gagnier - Leçons de Peinture - Des Leçons de Vie.





Autruche et Cardinal - 7.5' X 6'
Collection privée.


Vue d'ensemble - 1 .


Homme Malade, détail - 10' X 6'


Lamas, détail - 13' X 6'
Collection privée.





Vue d'ensemble - 2.


..
La Fête, détail 2 - 11' X 6'
Collection privée.


Les Papes - 6.75' X 7'


Les Papes, détail - 6.75' X 7'


Après la Chasse - 6' X 5'


Après la Chasse, détail - 6' X 5'


Cortège Funèbre - 6' X 5'


LEÇONS DE PEINTURE --DES LEÇONS DE VIE

Richard Gagnier

D'une certaine façon cette suite de peintures de Diane Carrière a fort a voir avec la peinture a programme, cette peinture de représentation qui se devait d'enseigner le «bon» droit, celui du pouvoir et de ses institutions. Le discours critique de I'histoire de I'art nous a bien montre comment, depuis la Renaissance, les règles de la perspective examinées comme dispositif ont servi a affirmer I'omnipotence du prince comme point focal et même, pire ou mieux, comment la vision en peinture ne pouvait émaner, servir et refléter que ce seul sujet. L'une des tentatives réussie de la modernité a sans doute été de contrer cette vision unidimensionnelle, soit par le simple refus de tout effet de perspective ou soit encore, lorsque la figuration persiste a s'incarner, par le déploiement de dispositifs propres a tenir a distance cette figure en train de se faire et de se regarder faire, par la multiplication simultanée des points de vue sur la surface ou par l'obligation d'un déplacement, réel ou oculaire, chez Ie spectateur.

L'espace pictural parvient ainsi à inscrire des sujets dont la visibilité s'alimente de multiples voix intermittentes se court-circuitant et échappant ainsi par la fragmentation à cette narrativité linéaire et suspecte.

Diane Carrière comprend les enjeux et y adhère de façon éloquente. Cette suite séquentielle serait comme une saisie dans la manière même d'appliquer la matière picturale, d'engendrer un espace, d'y inscrire la figure toute résistante de son referant, pour éventuellement poser la question de I'existence ou plutôt de I'apprentissage de I'existence par des effets de coexistence. Coexistence dans Ie monde, coexistence sur la surface picturale par juxtaposition. D’ailleurs la position du spectateur est rapidement prise en charge par cet espace pictural, ne serait-ce que par la déambulation obligée de celui-ci dans I'espace de la galerie afin de parcourir le registre de I'ensemble. On y instaure une trajectoire, mais I'entreprise du regard ment toute hiérarchie dans Ie dispositif adopte. Ainsi I'expérience reprend sa place.
Des qu'on entre dans la galerie, on est saisi par Ie déploiement dans I'espace. Juste en face de nous, isolée sur un mur et directement agrafe sans châssis a la surface, une toile pressente un groupe très serre, quasi-monolithique, de trois figures en costume d'ecclésiastique sur une surface colorée en aplat. Un quatrième personnage efface, plus dessine que peint, chuchote a l'oreille de I'un d'eux. Sur le long mur adjacent, une série de quatre toiles dont trois présentent un format rectangulaire allonge, elles aussi agrafées au mur, donne a voir des personnages tous des hommes-en vêtements civils, pantalon et chemise ou maillot de corps. Ils adoptent pour la plupart une pose verticale faite de gestes du quotidien : esquisser un pas de danse, verser un verre, regarder en avant. Ils ne semblent guère se préoccuper l'un de I'autre et pourtant ils partagent 1a même scène. Plus a gauche de ce long bandeau, certains personnages sont vêtus de courtes jaquettes et leur pose suggère un état de faiblesse : les bras de l'un d'eux, s'allongeant et pointant vers Ie sol, deviennent presque des prothèses. Au travers de ces regroupements on note la présence d'animaux, eux aussi groupes : d'abord des oies, puis des lamas et finalement des oiseaux. La série se termine sur Ie troisième mur de la salle, avec une seule toile agrafe au mur, à proximité long bandeau. Elle pressente a nouveau un ecc1esiastique, plus _burlesque, comme happe dans sa course par une autruche qui domine la toile.

A cet espace continu se greffe une petite salle, sorte d'a1c6ve que Ie regard a pu appréhender sur la droite, en se dirigeant de I'entrée vers la toile placée sur le mur du fond, en 'prise directe. Les murs de cet espace, peints de rouge soutenu, accueillent deux toiles, tendues sur châssis. Le travail pictural figures, oiseaux et motifs décoratifs y est beaucoup plus dense et achève. On a I'impression de voir une chapelle ardente; les deux scènes représentent des figures accroupies, des poses de porteur et un gisant. L'attente est soutenue comme si l'artiste avait mis en purgatoire ce travail complète, en finitude, marquant bien la distance d'avec la série en bandeau, comme si e1le scellait un moment de sa production. Sauf pour certaines plages colonnes en aplat ou à motif décoratif, Ie fond des toiles de la longue suite est laisse au blanc de préparation et les figures sont plus ou moins dessinées, plus ou moins 'peintes, en partie esquissées, ou même seulement apparentes grâce aux contours pleins crées par les figures adjacentes, Comme si la figure n'arrivait pas à fixer son image, se proposant plutôt en divers états, être de passage isole au milieu d'une scène, justement à cause des multiples procèdes de représentation mis en juxtaposition,

Toutes ces toiles de dimensions verticales identiques sont placées à la même hauteur et imposent leur linéarité, Cet effet est d'autant plus marqué qu'elles n'ont pas de châssis, se confondant pour ainsi dire avec la surface du mur, L'oeil glisse de I'une à l'autre sans tenter de les hiérarchiser. De même, le traitement pictural problématise cette situation et I'accentue. En effet il n'y a guère de bris d'échelle d'une toile à I'autre, les figures se présentant en équivalence. Pourtant la séquence est marquée de temps d'arrêt: soit par les divers regroupements formant la scène ou encore par ces zones de transition que forment les différentes plages colorées, très souvent en bordure de I'un ou I'autre des cotes de la toile, comme un écran. La bande décorative en mosaïque de la deuxième toile du long mur est particulièrement exemplaire. Elle rappelle des motifs de prélart et suggère fortement Ie rabat du sol avec le plan de la toile, tout comme Cézanne ramenait le plan des tables de ses natures mortes avec le plan du tableau. Cet effet de cassure singulier, ici excessif, avec I'espace pictural déroule, est d'autant plus affirme que deux corps allonges émanent de cette surface ou s'y fusionnent, comme I'esquisse isolée d'une oie. On le voit: cette suite est en fait une série de fragments se confondant dans des glissements opères en ternes picturaux. Chacun des segments permet une lecture, introduisant de ce fait une narrativité momentanée, suspendue en porte-à-faux d'un segment a I'autre. Cette structure a I'effet d'insister sur la dimension temporelle du regard, lie dans un rapport symétrique avec la déambulation du spectateur qui parcourt la suite.

Peinture à programme donc, que I'on ne peut s'empêcher de rapprocher des fresques historiées du début de la Renaissance italienne, comme celles de la chapelle Bardi (1317) de I'église Santa Croce à Florence, illustrant la vie de St-François d'Assise et peintes par Giotto. Ici la verticalité est signe d'élévation et de hiérarchie divine; il n'est pas surprenant que les moments de la vie du saint s'entassent vers le haut jusqu'au moment décisif de I'illumination divine. La comparaison vaut Ie coup d'être examinée d'autant plus que I'organisation de ces fresques, en registre, a pour but d'offrir tout St-François d'une seule volée, en moment synchrone de tous ses actes. L’empilement vertical rend cela possible, niant la dimension temporelle de l'expérience. Je n'ai d'autre choix comme regardeur que d'entrer dans I'extase subite.

Mais il y a plus. Ces fresques se pressentent a nous, ultimement, comme un seul tableau OU se promène Ie regard et ceci a cause d'un motif pictural : soit celui des bordures décoratives qui se répètent sur les pourtours des scènes, unifiant le décor. Les motifs décoratifs se retrouvent aussi chez Carrière mais nous avons vu que leur usage vient briser I'unité, scandant Ie rythme pour mieux marquer le temps de la lecture de I'image par le regard.

La présence des anges est un autre motif essentiel a I'unité discursive des oeuvres des primitifs italiens. On le sait, les anges sont des intercesseurs entre la divinité et notre condition humaine. 1’établissent la communication, n'étant finalement que du discours pur, d'ou leur désincarnation. La présence des animaux aurait la même fonction iconographique chez Carrière, mais cette fois-ci incarnée et faisant partie du monde. Ne I'oublions pas, les espèces représentes sont toutes domestiquées dans leurs contrées d'origine. Ces animaux entretiennent avec I'homme des rapports établis de longue date. Par nature, ils seraient grégaires ou du moins la domestication les aurait rendus ainsi. Cette présence animale témoigne d'une familiarité et non d'un danger. Comme intercesseurs, les animaux figurent la tentative de socialisation entre les différentes figures, apparemment indifférentes a leur entourage. Ces nouveaux anges, dont la forte présence volatile et animale est notable, sont essentiels à la cohésion de cette coexistence possible que l'artiste réclame et exprime par maints dispositifs picturaux.

Mais pourquoi cette femme artiste met en scène uniquement des hommes: l'homme anodin de la rue, pas très éloigne de ce flâneur auquel s'est intéresse Benjamin comme figure emblématique de la modernité, et ces représentants religieux, figures par excellence de )'intrigue, de I'accoutrement et d'un pouvoir Erode 7 Sans doute parce que tout cet apprentissage doit entrer dans cet autre champ de conscience, celui des expériences de I'altérité, de tout ce qui est en dehors de moi et qui dans sa primauté ne peut se figurer autrement que sous une diamétrale étrangeté.
Richard Ganier
Ottawa, Ontario, Canada


Richard Gangier est restaurateur en arts contemporains au Musée des beaux-arts du Canada. Il a été conservateur et président du conseil exécutif du centre d'artistes l'Axe-Néo 7 - Hull Québec, pendant plusieurs années.

Hommes - 1990

Université du Quebec en Outaouais - UQO. Gatineau, Québec - Canada.
Pigment, acrylique et charbon sur toile.

Conseil d'Aministration - 7' X 5'
Collection privée.


Grand-Peres - 7' X 5'
Collection Privée.


Repas d'Affaires - 13' X 5'


Scandale - 3' X 4'